André Menras (1)
In Recherches Internationales (avril-juin 2009)
L’évolution rapide et contradictoire, sur fond de récession économique mondiale, des relations actuelles entre la Chine et les pays de son espace régional proximal, Laos, Cambodge et Vietnam, donne un bon éclairage sur la nature et les ambitions du pouvoir de Pékin. Elle interroge sur le devenir de sa stratégie dans la région et augure de plus amples développements si elle n’est pas contrée par de nouvelles résistances et alliances. Le Vietnam sera -t-il le grain de sable de cette sinisation de type nouveau ? Trouvera-t-il à l'intérieur comme à l'extérieur les solidarités nécessaires pour résister à la mise en coupe réglée de ses richesses et de son peuple? La période qui se dessine porte en germe de nombreux éléments de tension et de crise qui pourraient bien être annonciateurs de changements subits dans les équilibres économiques, politiques et militaires de la région. (2)
La Chine semble tout entière lancée dans une stratégie de « going out », conquête planétaire des matières premières et des sources d’énergie, en même temps qu’elle a tiré et tire encore le nerf de cette guerre de type nouveau en inondant les marchés mondiaux de produits à bas prix, de qualité souvent douteuse, manufacturés dans ses « fourneaux à sueur » où l’exploitation ouvrière fait loi. Elle s’est imposée comme «vaste « atelier du monde » au cours de ces dernières décennies en achetant les ressources naturelles, souvent à bas prix, et en les transformant en produits finis pour être exportés et vendus massivement sur les marchés de l’OCDE. En ces temps de grande récession, le marché capitaliste et ses représentants politiques mondiaux en quête d’accords commerciaux salvateurs pour leurs marchands et banquiers nationaux, lui ouvrent sans état d’âme de plus larges avenues.
En Asie du Sud, la Chine se croit dans son jardin et ses trois Laos, Cambodge et Vietnam n’échappent pas à sa boulimie énergétivore. Mais cette offensive sera modulée selon le pays en fonction de ses liens passés avec le puissant voisin du Nord, de ses particularités culturelles et sociales, de sa situation géographique et de son potentiel en ressources naturelles.
On doit cependant noter l'apparition d'un nouvel élément très important dans la stratégie chinoise dans cette région. Pékin aura toujours à l'esprit, parallèlement à l'accomplissement de ses visées économiques et en accompagnement de celles-ci, un objectif de conquête de l'espace, de contrôle « politique » par l'économie et de présence physique permanente accrue, voire de peuplement, essentiellement en des points militairement stratégiques ou sensibles comme le triangle frontière Laos-Cambodge-Vietnam, la mer de l'Est ( dite de Chine), le Mékong...Cette stratégie de sinisation quasi directe est déjà appliquée à l'intérieur de l'espace terrestre chinois dans des régions sensibles comme le Tibet et le Xinjiang mais on commence à en déceler l'apparition au Myanmar, Laos, Cambodge et, à un degré moindre, au Vietnam.
Les conditions favorables à l'expansion chinoise dans la région
Les trois pays ont besoin d'aides. Ils sont demandeurs d'investissements du fait notamment du retrait partiel de la zone des institutions internationales comme la Banque Mondiale et la Banque asiatique pour le développement.
Les trois pays sont riches en ressources naturelles minières et agricoles dont le marché chinois a un besoin impérieux. Ces ressources sont bon marché. Elles sont à proximité.
Le mode d'exploitation de ces ressources permet de grandes libertés par rapport aux standards internationaux (y compris chinois) particulièrement en ce qui concerne l'éthique de l'exploitation: respect de la force de travail, des communautés rurales et urbaines, de la culture et de l'environnement. Les entorses à ces standards, en achetant la bienveillance de certaines autorités locales, diminuent les coûts de production.
Les frontières sont largement perméables et favorisent un commerce « informel » - c'est-à-dire de contrebande – de très grande envergure qui permet d’échapper aux taxes et aux contrôles de la qualité. Nombre de rapports officiels soulignent en effet le haut degré de la corruption des services douaniers, et de certaines autorités des provinces frontalières.
Cette corruption favorise les compagnies chinoises dans l'acquisition de permis pour des projets d'exploitation ou de concessions délivrés par des services d'Etat opaques ou des autorités locales électrons libres par rapport au contrôle central.
La diaspora chinoise est aussi un atout pour Pékin. Souvent bien intégrée, rouée au commerce et au savoir faire avec les autorités, elle dispose d'un poids financier important et possèdent un réseau de relations (« guangxi ») fourni. Les Chinois de l'étranger sont un appui non négligeable pour la pénétration des entreprises, l'accueil des « touristes » chinois très vite transformés en travailleurs, les pourvoyeurs d’outils logistiques pour régler des problèmes locaux...
L'art et la manière
Un exemple assez éloquent du savoir faire de Pékin. Au Laos, à l'occasion de la tenue des jeux sud asiatiques en 2009 (Seagames) la Chine a financé un très beau stade à hauteur de 80 millions de dollars US. Dans le même temps, le généreux donateur s'est réservé le droit d'utiliser un immense lot de terrain au centre de Vientiane pour y édifier une véritable ville destinée à loger 50000 résidents chinois. C'est la méthode douce.
D'une façon générale, les moyens de persuasion de Pékin sont souvent classés en deux catégories. Tout d'abord, la « soft power » ou puissance douce (la carotte). C'est la séduction diplomatique localement orchestrée sur le thème de l'amitié indéfectible et internationalement entretenue par un lobby politico-commercial expérimenté. C'est aussi concrètement l'aide au développement, les investissements directs, les tarifs préférentiels à l'exportation de certains produits en Chine, les prêts à taux réduits, les enveloppes de la corruption...
Si tout cela ne suffit pas, la pression se manifeste à visage découvert et violent, la « hard power » ou puissance dure (le bâton)... Il s'agit dans le cas de différents régionaux ou locaux, de déclarations fermes voire de menaces sur le plan diplomatique, de démonstration de force militaire, d'occupation voire d'appropriation ouverte d'une partie de l'espace national du pays voisin concerné. Toutes ces actions sont soigneusement préparées et accompagnées diplomatiquement par un lobby international puissant et une pression politique et économique directe sur les instances dirigeantes des pays ciblés.
Au Cambodge et au Laos, dans la phase actuelle, c'est la seule « puissance douce » qui est utilisée avec succès.
Sinisation du Laos
Au Laos, directement en contact au Nord avec le Yunnan chinois par sa province de Luang Namtha, la pénétration s'opère en douceur, avec la quasi passivité de la population mal ou pas du tout informée et avec les mesures d'hospitalité bienveillante prises par les officiels. Selon le Vientiane Times, en 2007, la Chine est aux commandes de 236 projets d'investissement. Depuis 2008, elle est le premier investisseur étranger. A côté d'autres entreprises étrangères mais en position dominante, elle investit dans des projets hydroélectriques sur le Mékong et ses affluents, dans l'exploitation minière, particulièrement sur le plateau des Bolaven, réserve importante de bauxite, dans l'achat ou la location d’espaces pour d'immenses plantation de caoutchouc, de canne à sucre...Dans la province frontalière de Luang Namtha, neuf entreprises chinoises produisent du caoutchouc avec des émigrés chinois recrutés comme ouvriers ou établis à leur compte.
La puissance douce se manifeste aussi par l’aide officielle au développement (ODA) que la Chine attribue conjointement à d'autres pays dont la France. Elle y participe à hauteur de 10% essentiellement consacrés aux transports et communications, à la santé et à la culture. Elle finance des bourses d'études pour Pékin et a construit à Vientiane un grand complexe scolaire d'enseignement en langue chinoise, sur des programmes chinois, avec des manuels chinois. Elle a consenti à un dédouanement total de 200 sortes de produits laotiens exportés sur le marché chinois.
De nombreux accords bilatéraux sont conclus dans le cadre du « Comité de coopération sino-laotien». Les investissements chinois destinés aux grands projets hydroélectriques sont garantis par une loi votée par l'Assemblée nationale laotienne. La « Laos-China Business Association » qui compte cent entreprises presque essentiellement chinoises est très active. La Chine aide aussi à la modernisation de l'Armée Laos...
En résumé, la sinisation du Laos semble bien engagée avec quelques hiatus cependant: la présence physique croissante de populations chinoises dans ce pays d'à peine six millions d'habitants commence à préoccuper certaines populations. Parmi elles, les communautés victimes de l'expansion des plantations industrielles ou des projets miniers qui sont chassées de leurs terres avec peu ou pas de compensation, les communautés urbaines qui voient se renforcer une déloyale concurrence commerciale avec un puissant réseau chinois boosté par ses liens quasi directs avec la mère patrie, enfin, les intellectuels et enseignants qui perçoivent cet assaut comme une réelle menace pour leur culture et leur identité.
« L'ami le plus fiable du Cambodge »
La situation au Cambodge est similaire sur le fond. Elle semble même plus ouverte à la stratégie de Pékin. Ce petit pays de 14 millions d'habitants connaît un taux de pauvreté estimé à 30%. En situation de grave pénurie d’infrastructures, dotée d'une agriculture de subsistance sous-équipée, le Cambodge a lui aussi grand besoin d'investissements pour développer les secteurs définis par ses autorités (tourisme, construction et agro-business) et pour exploiter ses ressources naturelles encore largement inexplorées.
Le pays n'est pas sans posséder quelque attrait pour la Chine: bois, caoutchouc, acacias, eucalyptus, coton, maïs, manioc, minerais de fer, d'or, bauxite, cuivre, gemme, granit, produits de la pêche, huile de palme, gaz et pétrole offshore... Son territoire permet l'accès au golfe de Thaïlande et donc à la partie méridionale de la mer dite de Chine. Pékin a d'ailleurs fourni des vaisseaux de guerre ainsi que du matériel militaire à l'Armée royale du Cambodge.
La Chine a des décennies de relations privilégiées avec le Cambodge. Elles sont quelquefois peu avouables: les sinistres Khmer rouges de Pol Pot et Khieu Samphan, acteurs d'un des génocides de l'humanité, ont été, rappelons-le, organisés, armés, entraînés et manipulés par Pékin. Mais la diplomatie chinoise a su s'acheter une nouvelle vertu et maintenir sa présence sous un autre visage. Ainsi, en 2006, le Premier ministre chinois Wen Jiabao en visite à Pnom Penh annonce une aide de 600 millions de dollars US et suggère à son homologue cambodgien Hun Sen de présenter la Chine comme « l'ami le plus fiable du Cambodge. » Dans l'escarcelle, de quoi permettre à l'entreprise chinoise Sinohydro de construire le barrage géant de Kamchay. Le reste de la somme devant être utilisé pour la construction de ponts et d'édifices d'Etat.
En 2007, la Chine participe pour la première fois au Forum du Cambodge pour le développement et la coopération. Avec une contribution de près de 100 millions de dollars, elle est le troisième donateur derrière l'UE et le Japon. L'année 2008 sera proclamée l'année de l'amitié sino-cambodgienne.
En 2007, Pékin est un des partenaires commerciaux les plus importants du Cambodge mais le flot des échanges n'est pas égal: la valeur des exportations des produits cambodgiens sur le marché chinois est 17 fois inférieure à celle des produits achetés à la Chine.
Cette même année, les investissements chinois au Cambodge passent en tête des investissements étrangers. Des sociétés chinoises, en concurrence essentiellement avec des sociétés australiennes, acquièrent des droits de prospection minière dans diverses parties du pays.
Il semble que la Chine soit aussi un investisseur clé pour l'acquisition de concessions afin d'exploiter bois, caoutchouc... A la fin de 2006, pour un territoire de 188000 hectares, sur 26 étrangers titulaires de concessions, 13 étaient chinois. Dans le golfe de Thaïlande, L'entreprise chinoise Mirach Energy Limited est impliquée dans la prospection d'un important gisement de pétrole et de gaz naturel.
Enfin, autre secteur de puissants investissements chinois: les infrastructures hydroélectriques. A côté des barrages géants de Kamchay (plus de 38km de long) et de Stung Atay, six autres projets sont en cours (développés par quatre maîtres d'oeuvre chinois et deux vietnamiens) sur la rivière Sesan. En 2008, le gouvernement a autorisé la Guangxi Guiguan Electric Power Co Ltd à réaliser des études de faisabilité pour deux autres barrages sur la rivière Sre Pok.
L'ensemble de ces projets inquiète la communauté scientifique pour les impacts négatifs escomptés quant à la vie culturelle, sociale et matérielle des communautés vivant exclusivement des produits des fleuves. Le danger d'un bouleversement de l'écosystème du Mékong est aussi bien réel. Nous y reviendrons dans cette étude. Malheureusement, il est difficile d'en persuader actuellement les 70% de la population qui vit sans électricité et pour lesquels la Chine pourrait bien apparaître comme un providentiel créateur de bien-être.
Le syndrome chinois du Vietnam. Le grain de sable vietnamien de la Chine ?
La politique chinoise envers le Vietnam reste fondamentalement la même avec les mêmes objectifs. Mais elle doit manœuvrer dans des conditions beaucoup plus délicates.. Elle devra prendre en compte les traces des relations millénaires souvent antagonistes entre les deux pays et au terme desquelles David a toujours repoussé Goliath. Elle doit finement mesurer la stature économique spécifique du Vietnam par rapport à ses voisins de l'Ouest, la force identitaire de son peuple, de sa fierté solidaire, de son expérience militaire, des liens d'amitié qu'il a su tisser pendant ses longues résistances et qu'il pourrait raviver. Enfin, Pékin ne devra jamais oublier l'attachement viscéral du peuple vietnamien à son indépendance et à chaque pouce de son espace national.
C'est parce que les dirigeants chinois connaissent bien ces traits spécifiques qu'ils développent en direction de ce voisin au passé prestigieux, une stratégie multiforme dans laquelle « la puissance dure » a de plus en plus souvent tendance à s'exprimer au fur et à mesure des résistances.
La lourde ardoise de la Chine
Tout au long des millénaires, la Chine a imprimé au Vietnam, directement ou non, par la violence ou la séduction, sa culture, ses modes de pensée, sa langue, surtout écrite, son administration. De son côté le Vietnam a toujours su assimiler à son profit l’immense richesse culturelle de son puissant voisin sans jamais en accepter définitivement la domination politique et militaire. C’est même dans cette subtile et déroutante alternance d’assimilations et de résistances, finement dosées selon les forces du moment, que le peuple vietnamien a forgé l’essentiel de son identité.
Partout dans le Vietnam d'aujourd'hui, la Chine a laissé ses traces. Pas une pagode, du Nord au Sud, sans les sentences parallèles en caractères démotiques « Nom »(3) ou « Han » chinois. Un des romans les plus célèbres de la littérature vietnamienne, « Kim Van Kieu » a été rédigé en caractères « Nom ». Mais c’est aussi quatre de ces caractères Han que le roi Dinh Tien Hoang, fondateur des premières dynasties vietnamiennes a fait arborer au fronton de son palais de Hoa Lu. Ils signifient: « Gardons bien fermée la porte du Nord ». Pas une ville du Vietnam actuel -où l’écriture a été dé sinisée- dont les rues, les places, les jardins publics n’affichent les noms de batailles glorieuses, de dizaines de héros, hommes ou femmes du peuple, lettrés ou empereurs qui se sont illustrés en repoussant victorieusement les armées chinoises sur terre ou sur mer. Beaucoup moins nombreux mais tout aussi présents dans la mémoire collective sont les noms des collaborateurs qui ont fait appel à l’aide de la Chine pour sauver leur pouvoir contesté. Le plus connu en négatif au célèbre héro Nguyen Hué, pourfendeur de l'agresseur au 18ème siècle, est le roi Lê Chiêu Thống qui a, selon l'expression populaire, « porté le serpent sur son dos pour qu’il morde le poulet familial ». Mais les Vietnamiens ont aussi quelquefois pactisé avec l’ennemi héréditaire pour leur propre profit: dans leur marche conquérante vers le Sud après avoir absorbé le royaume Cham, les seigneurs Nguyen ont su utiliser les services de la soldatesque chinoise comme fer de lance de la colonisation vietnamienne du delta du Mékong, alors partie intégrante du royaume Khmer.
Dans l’Histoire moderne des deux pays en lutte pour leur indépendance nationale, on peut aussi noter de nombreuses avancées solidaires et quasi- fraternelles. Destins liés quasi physiquement: sans l’aide logistique proximale et permanente chinoise comme base arrière de repli, de formation, comme fournisseur d’armes et de matériel, de conseillers, de personnels utilisés dans le génie militaire, le Vietnam aurait été bien dépourvu dans ses guerres de résistance, loin de l’URSS …De son côté, sans le Vietnam combattant les démons à sa porte Sud dans une guerre totale et au prix d’énormes sacrifices humains, la Chine aurait-elle pu faire l’économie d’un nouvel affrontement direct avec le colonialisme et l’impérialisme, hypothéquant ainsi ses efforts de développement, ses ambitions impériales nostalgiques du passé? Bref, durant cette période, la Chine et le Vietnam ont pu paraître selon les mots de Mao Tse Tong comme « la dent et la lèvre » car, ajoutait-il, « quand la lèvre s'ouvre, la dent a froid. »
Mais la dent chinoise, souvent trop longue, a souvent blessé la lèvre vietnamienne. Tout au long de ces résistances aux agressions occidentales, la Chine n'a aidé le Vietnam que dans le souci de se protéger elle- même, comme un investissement sur sa propre sécurité à la frontière Sud. Par exemple, elle n'a jamais appuyé le Vietnam dans sa lutte intransigeante pour la réunification du pays, craignant le voisinage d'un Vietnam fort, incontrôlable et libre de nouvelles alliances étrangères. Elle se serait bien contentée de deux Vietnam, à la coréenne. Plus tard, en 1972, quand Ha Noi était pilonné par les B 52, pareil aux trois singes de la légende, Deng Xiao Ping s’est bouché les yeux, fermé les oreilles et la bouche pour recevoir Nixon et Kissinger, redessiner avec eux le partage marchand des zones d'influence en Asie et jeter les bases de l’accès au marché capitaliste.
A chacune de ces turbulences, les dirigeants historiques comme Ho Chi Minh, Pham Van Dong, Vo Nguyen Giap... ont su tenir le cap tout en gardant habilement une ligne souple et acceptable par la Chine dont ils avaient besoin.
Ainsi on peut dire que sans l'appui de la Chine, la libération du Vietnam aurait été bien plus difficile mais on peut aussi affirmer que sans leur détermination en résistance aux pressions chinoises, les Vietnamiens n'auraient pu réunifier leur pays comme ils l'ont fait.
D’autres pilules chinoises restent encore aujourd’hui bien amères. Le Vietnam n’oublie pas les sinistres khmers rouges armés, entraînés et dirigés par Pékin. Dans les grands cimetières des « liet si » (héros morts pour la patrie), les dizaines de milliers de tombes « cambodgiennes » venues s’ajouter aux centaines de milliers d’autres, vestiges des guerres précédentes, sont toujours régulièrement fleuries et encensées.
Le souvenir le plus noir et le plus vivace pour la génération des cinquantenaires qui ont vécu cet évènement particulier est ce 17 février 1979, quand 300 000 soldats de Deng Xiao Ping envahissaient, ravageaient et pillaient six provinces frontalières du Nord, faisant 11 000 victimes vietnamiennes. Juste pour « donner une leçon » à Ha Noi, toujours jugé coupable d'alliance criminelle avec l'URSS. Même si l’Etat d'aujourd'hui, pour raison de « problème sensible » n’ose pas honorer les héros de cette guerre éclair, la population, elle, ne les oublie pas.
Enfin, les réactions sont aussi épidermiques à la mémoire de l'occupation des îles vietnamiennes ou partiellement vietnamiennes Paracels (Hoang Sa) et Spratleys (Truong Sa). Cinquante-huit marins du régime de Saigon exécutés en 1974 sur l’île de Hoang Sa au large de la ville de Da Nang ; quatre- vingt- huit autres militaires du Vietnam socialiste tués par surprise en 1988 sur les îles de Truong Sa, au large de la ville de Nha Trang. La colère populaire est encore là, bien vivante, et les provocations chinoises répétées en mer de l'Est ne manquent pas de l’exacerber.
La situation du Vietnam face à l'offensive économique chinoise.
A partir de 1991, année du rétablissement des liens diplomatiques après dix années de rupture et de guerre froide émaillées d'incidents frontaliers sporadiques et récurrents, les relations entre les deux pays ont évolué rapidement vers des schémas de coopération vecteurs d'une offensive économique chinoise de type nouveau.
Comme nous l'avons dit, la Chine a souvent influencé le Vietnam dans le choix de ses orientations économiques et quelquefois dans les excès de celles-ci comme ce fut le cas lors de la réforme agraire des années 50, de triste mémoire à bien des égards.
Dès 1978, Deng Xiao Ping lance une série de réformes économiques « le Gaifang » (changer-ouvrir) qui introduisent les méthodes capitalistes dans une économie de type socialiste. Huit ans plus tard, en 1986, pour sortir de son dénuement économique avec une aide soviétique qui se rétrécit en prélude à son imminente disparition, le Vietnam, dans un climat d'isolement international, opte à son tour pour la « Doi Moi » (renouveau) ou « économie de marché à orientation socialiste ». Il s'ouvre aux investissements extérieurs qu'il pense maîtriser pour accélérer son développement. Ainsi les deux « frères socialistes » se trouvent-ils engagés avec quelques années de décalage et des moyens très inégaux sur des schémas de développement quasi identiques et concurrents.
Les atouts économiques du Vietnam et l'accélération d'une présence chinoise bien ciblée.
Doté de la treizième population mondiale avec 86 millions d'habitants dont 65% ont une moyenne d'âge inférieure à 30 ans, le Vietnam est un pays dynamique qui possède de nombreuses richesses: produits agricoles, de la pêche, de ses ressources minières et énergétiques (gaz, pétrole)...Le revenu moyen par habitant s'est accru de 7,3 % durant les dix dernières années, réduisant le taux de pauvreté de 58% en 1993 à 20% en 2004. En 2007, les investissements directs étrangers constituaient 21% de l'investissement total (77% de plus qu'en 2006). La même année, l'investissement privé national représentait 32% de l'investissement total.
Mi-2006, la Chine avait directement investi au Vietnam dans 377 projets, l'année suivante elle en comptait 434. Bien que ces investissements ne semblent pas importants comparés à ceux de la Chine dans d'autres pays asiatiques, ils ont un poids particulier parce que focalisés sur les ressources naturelles, particulièrement les ressources minières. Contrairement au Laos et au Cambodge, les secteurs miniers et hydroélectriques vietnamiens sont contrôlés par des entreprises d'Etat. Les investissements étrangers dans le secteur minier sont limités à des joint-ventures de taille réduite. Cependant nous verrons que des changements sont en train de poindre avec la révélation soudaine du très controversé projet d'extraction et d'exploitation de la bauxite sur les Hauts plateaux du Vietnam dans lequel une Société d'Etat chinoise est engagée à hauteur de 40%.
L'aide chinoise officielle pour le développement (AOD) est substantielle (312 millions de dollars US de 1992 à 2004) mais, excepté quelques prêts pour l'extraction du cuivre à Lao Cai (frontière Nord) elle a un caractère plus directement politique qu'au Laos et au Cambodge et se centre sur les échanges culturels et le soutien aux activités d'amitié...Secteur bien plus sensible que dans les deux pays voisins...
Cependant la Chine est aujourd'hui le premier partenaire commercial du Vietnam devant le Japon, l'UE et les USA. Le volume officiel des échanges entre les deux pays, qui ont une frontière commune de 1643 km, a plus que triplé au cours des dernières années et, selon certains officiels, le volume des échanges « informels » est encore supérieur. En 2006 le Vietnam enregistrait déjà par rapport à la Chine un déficit de sa balance commerciale de 4 milliards de dollars. Fin 2008, ce déficit passait à 11 milliards. Plus de 50% des exportations du Vietnam sont destinées à la Chine. Ce sont des matières premières (charbon, pétrole, caoutchouc, minerai de fer, cuivre), des produits agricoles (légumes, thé, noix de cajou), des produits de la mer frais ou réfrigérés...
De son côté, la Chine inonde le Vietnam de machines, de produits de consommation courante (alimentaire, textile, appareils ménagers...), de véhicules, de produits électroniques, de fertilisants ... Bien que souvent de qualité médiocre, ils menacent les productions locales par leur prix très bas. Nombreux sont les articles de la presse vietnamienne qui font écho aux préoccupations des commerçants et industriels locaux qui vivent ce « débarquement » comme un étouffement. « Ils font la pluie et le vent sur notre marché et ce n'est que la première vague du cyclone qui nous attend en 2009 quand, selon les directives de l'OMC, les taxes d'importation vont baisser de 50 à 20% » (3) Ce débarquement massif est, selon un rapport de la Banque mondiale, largement facilité par la corruption du Département des douanes.
La richesse agricole du Vietnam intéresse la Chine et le marché chinois intéresse le Vietnam. Ce secteur est en effet en pleine expansion et modernisation. Il représente 27% du PIB et emploie 70% de la force de travail nationale. Les produits de l'agriculture ajoutés à ceux de la pêche et de l'aquaculture totalisent le quart des exportations du pays. Riz, café, caoutchouc, thé, légumes, fruits, noix de coco, noix de cajou, pois, arachides, manioc et poivre constituent les principales productions exportées. La Chine est la principale demandeuse de ces produits spécialement du caoutchouc, de la noix de cajou et des légumes.
Indépendance relative (et provisoire?) du Vietnam sur le plan de l'énergie électrique.
En 2005, la capacité totale de production électrique provenait de sources diverses: centrales hydroélectriques, centrales thermo électriques au gaz, thermo électriques au charbon, au pétrole et générateurs à diesel. Selon la Banque mondiale, compte-tenu de la croissance industrielle et de l'augmentation du nombre d'habitations accédant à l'électricité, la capacité de production devra doubler entre 2006 et 2010. Pour l'instant, il n'y a pas de joint-ventures et l'essentiel du développement, initialement dominé par le groupe d'Etat « Electricité du Vietnam » reste assuré par des entreprises vietnamiennes. Cependant, la loi de 2004 sur l'électricité ouvre ce secteur à la concurrence du marché. Il semble pour l'instant que le rôle de la Chine dans ce secteur soit mineur. Il paraît limité à la fourniture de turbines pour les centrales de petite et moyenne importance. De sa province du Sud, elle exporte 200 MW vers le Vietnam et escompte décupler ce chiffre d'ici 2015. Enfin, en 2007, sa société « China Southern Power Grid Corporation » a décroché un contrat pour étudier la faisabilité de la construction d'une centrale thermoélectrique dans la province de Binh Thuan, province susceptible d'accueillir l'alumine provenant de la bauxite extraite sur les hauts plateaux vietnamiens.
Le Vietnam est aussi un pays riche en ressources minérales. Il possède parmi les plus grands gisements mondiaux de phosphate et de bauxite, de vastes gisements de pétrole, de charbon, d'or, de gemme, de cuivre, de zinc, étain, chromite, manganèse, titanium (sable minéral), graphite, tungstène...
Le charbon très convoité par la Chine, fait, comme nous l'avons dit, souvent l'objet d'exportations « informelles ». Dans la province de Quang Ninh, limitrophe avec la Chine, on a même vu se multiplier anarchiquement de petites exploitations gérées par des fermiers locaux.
La Chine investit également dans d'autres grands chantiers nationaux vietnamiens. Souvent au détriment des entreprises locales. En mars 2009 lors de son assemblée générale, l'Association de la Construction du Vietnam s'inquiétait du fait que les entreprises chinoises possédaient des dizaines de chantiers de construction de cimenteries, de centrales électriques, d'usines de produits chimiques, raflant les appels d'offre, faisant suivre avec elles leurs propres matériaux et employant, par milliers, leurs propres ouvriers.
Accroissement d'une main d'œuvre chinoise non qualifiée
Cette question de la main d'œuvre « illicite » chinoise fait l'objet d'un débat national animé.
Des dizaines de milliers de travailleurs chinois non qualifiés sont à l'œuvre au Vietnam pourtant durement touché par le chômage. Ils sont présents sur la frontière Nord, dans la baie d'Halong, sur les Hauts plateaux, dans le centre, près de Da Nang, à Ca Mau, dans la pointe Sud du pays... Beaucoup arrivent avec de simples visas touristiques et se retrouvent très vite sur les chantiers d’entreprises chinoises, en infraction totale avec la loi vietnamienne. La plupart du temps, ils sont logés dans les chantiers clôturés ou dans leurs abords immédiats. Souvent dans des baraquements quasi militaires. Dans certains cas, ils louent des habitations au voisinage, y implantent leurs propres restaurants et organisent un environnement « tout chinois »: enseignes, menus, consignes, non des lieux, panneaux indicateurs, musique chinoise, karaoké chinois.... La presse fait de plus en plus état de relations conflictuelles, quelquefois violentes, avec les populations locales. Devant l'émoi exprimé par quelques journaux et relayé par certains députés, les autorités promettent de régler cette question épineuse qui concerne aussi, à un moindre taux, des ressortissants d'autres pays. Mais les différents services se passent en relais la patate chaude comme si la présence massive de la main d'œuvre chinoise avait fait l'objet préalable d' accords tacites et occultes: le ministère du travail en appelle aux services de police, aux autorités locales, à l'immigration...et le problème perdure avec la promesse d'en finir une fois les chantiers terminés.
Un projet « sensible » pour la Chine et l'Etat vietnamien
La Bauxite du Tay Nguyen (Hauts plateaux du Vietnam).
Le Tây Nguyên est une zone de hauts plateaux couverte de forêts, située à la frontière du Cambodge et du Laos. Ce « toit de l'Indochine » constitue un des joyaux du patrimoine vietnamien par l'étendue de ses jungles, la richesse de leur biodiversité, l'extrême originalité de son peuplement, son rôle de « climatiseur » pour l'ensemble de la zone, sa situation stratégique pour la défense du Vietnam et pour l'étendue de ses gisements de bauxite qui en font la troisième réserve mondiale. La culture de certaines ethnies, uniques au monde, est reconnue patrimoine mondial par l'UNESCO.
Cette zone a déjà été martyrisée par la guerre américaine car elle était le principal passage Nord-Sud de la guérilla. J'ai été témoin en 1969 de cette stratégique de déforestation par bombardements massifs, épandages chimiques dont ceux de la dioxine, nettoyage par engins de défonçage... Après la libération du pays, l'arrivée des populations venues des zones deltaïques surpeuplées pour cultiver thé et café a encore fait reculer la forêt et les ethnies qui vivent en symbiose avec elle.
Aujourd'hui, l'exploitation sauvage du bois continue de façon préoccupante, jusqu'à prendre la forme d'un véritable pillage guerrier par des bandes armées de « pirates du bois ». Ces razzias sont certainement à la source d'un juteux commerce « informel ». Car, si la population locale souffre d'une misère chronique et subit de plein fouet les conséquences de ces agressions environnementales, par contre, de colossales fortunes se sont nourries et se nourrissent encore de la déforestation, s'étalent au grand jour dans les villes voisines et s'investissent en de grands projets immobiliers dans tout le pays..
C'est dans ce climat social déjà très lourd, qu'a démarré la nouvelle campagne de déforestation pour l'exploitation de la bauxite à ciel ouvert, le traitement de l’alumine et sa transformation en aluminium. J'ai déjà évoqué cette question dans un article paru dans le journal l'Humanité début mai 2009. La presse de Monde entier l'a de nombreuse fois abordée sous des angles divers au cours de ces deux derniers mois. Mais l'affaire, loin d'être terminée, continue de connaître des rebondissements dans l'actualité du pays et au-delà de sa frontière Nord.
Ce gigantesque projet, né, de façon presque inaperçue des 9ème et 10ème Congrès du Parti communiste du Vietnam, va très vite dépasser le plan local pour devenir une question nationale explosive. Et la contestation des choix économiques va rapidement prendre un tour politique. Elle pose la question de la compétence des décideurs pour les grandes décisions qui engagent la vie locale et nationale; de la rigueur des choix et de leur suivi; de l'information transparente et complète sur ces choix; de la possibilité effective de les discuter de la part de l'Assemblée nationale, des médias et des citoyens. Enfin, ce projet, par l'importance de la coopération engagée avec la Chine et parce qu'il marque un nouveau pas très concret dans la pénétration de celle-ci au coeur du Vietnam, pose avec encore plus d'évidence qu'auparavant la question de la dépendance économique.
Si le projet fait partie des résolutions « économiques » du PCV, parti unique qui régit toute la vie nationale, il prend un caractère essentiellement politique dans la mesure où, à travers sa dimension titanesque, le gouvernement de Ha Noi satisfait l'insistante demande chinoise. Ce projet s'est dessiné dans la dynamique et la confidentialité des rencontres et visites réciproques entre les deux premiers secrétaires et entre les hauts dirigeants des deux partis depuis quelques années. Il semblerait qu'il se soit concrétisé en prélude au sommet des pays de l'APEC(4) en novembre 2006 à Ha Noi. Le géant chinois Chalco, deuxième producteur mondial d'aluminium, signant un mémorendum d'accord de coopération avec le groupe d'Etat vietnamien Vinacomin à concurrence de 40% des parts.
Mijoté dans la nébulosité des officines du gouvernement et du Parti, le projet n'a réellement été révélé à l'opinion qu'en novembre 2007 lorsque le Premier ministre Nguyen Tan Dung a, par décret, « approuvé le plan de délimitation, de prospection, d'exploitation, de transformation et d'utilisation de la bauxite durant la période de 2007 à 2015, dans la perspective de 2025 ». C'est à ce moment-là que nombre de Vietnamiens ont pris conscience du caractère pharaonnique du chantier, des investissements et des dangers d'impacts négatifs : 8 complexes industriels sur le Tay Nguyen, répartis sur des milliers d'hectares dans les trois provinces voisines ( Lam Dong, Gia lai et Dak Nong). Un investissement de 20 milliards de dollars pour contruire et entretenir le réseau routier, construire les usines, les lacs de retenue des boues rouges, la voie ferrée qui doit relier, à travers une chaîne annamitique très accidentée, les hauts plateaux à la côte distante de 270 km, la construction d'un port maritime d'une capacité de 50 000 tonnes, la construction de centrales électriques nécessaires au traitement de l'alumine et à l'hydrolyse de l'aluminium. Sans parler des charges et compensations sociales inhérentes au déplacement des populations...
Les nécessaires estimations sur la rentabilité et l'impact environnemental et social imposées par la loi vietnamienne avant tout projet d'envergure sont opérées par une société qui appartient elle -même à l'investisseur Vinacomin. Estimations opaques, bâclées dans l'urgence de la pression chinoise et à propos desquelles le PDG de Vinacomin, excédé par les questions de la presse répond façon joueur de roulette au casino que les pertes ou profits pourraient être de « 50/50 »!
Des industriels, hommes d'affaires, des administratifs, des écrivains, des hommes de loi s'émeuvent. La très sérieuse Union des associations scientifiques et techniques du Vietnam (VUSTA) expose méthodiquement et clairement les dangers. Danger d'un trou financier considérable eu égard au volume exorbitant des investissements prévus (et des nouveaux endettements nécessaires) dans l'incertitude de retours conséquents; danger déjà évoqués quant à l'éradication d'une ethnie ; danger de pénurie d'eau car le traitement du minerai en alumine et l'hydrolyse pour obtenir l'aluminium nécessite la ponction annuelle de millions de m3 puisés dans les sources et les nappes souterraines, déjà à peine suffisantes pour les plantations de café , de thé et d'hévéas; danger de réchauffement du climat dû à la déforestation et l'assèchement des sols; danger de disparition de certaines espèces du tapis végétal; danger pour 15 millions de familles en aval, au pied du Tây Nguyên, car l'eau risque de manquer dans le bassin du fleuve Dong Nai qui dessert aussi la zone industrielle nationale d'HCM ville; danger de pollutions plus dévastatrices encore: celles qui sont inhérentes à la production et au stockage des «boues rouges», résidus de la dilution du minerai dans la chaux, la soude et l'eau pour obtenir l'alumine juste avant filtration et hydrolyse. Personne ne peut en effet garantir que ces déchets semi liquides fortement toxiques, stockés en permanence par millions de m3 dans des lacs, construits dans de petites vallées pour la circonstance, ne seront pas libérés par des crues lors de la saison des pluies, par des ruptures de digues, par infiltration vers les nappes souterraines et les sources ... ou par d'autres facteurs.
La population s'inquiète car elle a fait l'expérience d'autres catastrophes survenues dans plusieurs autres jolis coins du pays transformés en poubelles au fur et à mesure du développement industriel par des « sociétés voyous » largant dans la nature les déchets toxiques pour diminuer les coûts de production. Très récemment Vedan (Taïwan) et Hyundai-Vinasan (Corée du Sud) ont été pris en flagrant délit de pollution massive du fleuve Dong Nai et les milliers de familles victimes attendent toujours les dédommagements.
L'affaire « bauxite » a provoqué une surchauffe d'Internet, la presse, mise au pas, n'étant autorisée qu'à des comptes-rendus très réservés sur un sujet considéré comme « sensible » par les autorités. Un site a été créé suite à une pétition nationale déposée- du jamais vu- par de courageux scientifiques, intellectuels, artistes, étudiants pour interpeller le Premier ministre et l'Assemblée nationale. L'emblématique général Vo Nguyen Giap, 97 ans, un des pères fondateurs du Vietnam, vainqueur des armées françaises et américaines, est intervenu par lettre à trois reprises pour mettre fermement en garde le gouvernement et le Bureau politique contre les dangers déjà évoqués mais aussi les dangers politiques et pour la défense nationale. Il déconseille l'entreprise et demande au moins de suspendre les travaux pour un examen plus approfondi. D'autres anciens officiers et diplomates de haut rang lui ont fait écho. Le général Le Van Cuong, membre de l'Institut stratégique et scientifique pour la Sécurité nationale prévient très clairement : «Si la Chine entre au Tay Nguyen, les conditions seront réunies pour son contrôle du Vietnam, du Laos et du Cambodge. Actuellement elle a loué pour 99 ans un vaste territoire dans la province cambodgienne de Mundunkiri qui touche notre province de Dak Nong où le projet bauxite est prévu. La Chine s'est également rendue maître des grands projets économiques de la province laotienne d’A-Ta-Pu, limitrophe du Vietnam et du Cambodge, au carrefour de l'Indochine. Cela constitue une menace pour notre sécurité nationale dont il est difficile de mesurer l'ampleur.» A toutes ces interpellations, le Premier ministre a répondu imperturbablement que le projet était « une grande option du Parti et de l'Etat » et serait mené à terme.
Les secousses politiques
Avril 2009, le bureau politique, obligé de réagir, s'est voulu rassurant en déclarant que le projet devait respecter toutes les garanties, en particulier concernant la sécurité nationale. Il a préconisé d'ajourner un des deux volets du projet en cours pour examiner plus sérieusement les impacts sociaux et environnementaux. Mais, sur l'essentiel, il a confirmé la décision de continuer sur le terrain selon la méthode empirique:« voir en marchant ». Enfin, il a annoncé la fin du débat en demandant aux services chargés de l'information et de la communication de « créer les conditions de l'unité dans le Parti et dans la poulation ». Le très officiel « Nhan Dan »( jounal du peuple) organe central du PCV, lui a emboîté lourdement le pas, se portant vaillamment garant de tous les points du projet et terminant par des propos d'un autre âge aux perspectives inquiétantes: « [Il faut] se méfier et avoir une attitude claire et résolue envers les complots menés par les forces ennemies de mauvaise foi qui visent à politiser la question, qui veulent nous diviser en déformant la vérité et utiliser l'affection sacrée de notre coeur et notre esprit ( NDL: allusion sans doute au très populaire et très estimé général Giap) pour servir leurs viles intentions ». Le ton était donné et la chose entendue : aucune organisation sociale, scientifique, aucun consultant vraiment indépendant ne serait réellement invité aux estimations et au suivi du projet.
La Chine, de son côté, fait entendre sa voix indirectement par ses media et distribue des bons points à l'intransigeance de Ha Noi et du Premier ministre Nguyen Tan Dung tout en fustigeant la « néfaste nébuleuse » des opposants vietnamiens.
Pour empêcher le débat à l'Assemblée nationale devant l'insistance de certains députés, les autorités utilisent des artifices procéduriers. Un d'entre eux consiste à découper le projet en plusieurs mini projets déclarés indépendants les uns des autres pour que leur importance en volume d'investissement ne relève pas légalement de la discussion nationale. Le ton monte. Pour la première fois depuis la libération du pays un avocat a déposé plainte contre le Premier ministre pour violation de la loi. La plainte est catégoriquement rejetée par le tribunal populaire d’Ha Noi. La liste des pétitionnaires s'accroît. Le site Internet se fournit.
A côté de cela, on assiste à un durcissement des autorités vis à vis des opposants au projet ou simplement de ceux qui, à cette occasion, émettent des point de vus critiques sur les sujets « sensibles » touchant à la Chine.
Un inquiétant « fossé chinois » se creuse au Vietnam.
Dans l'opinion, l'exaspération jusque-là contenue, semble se radicaliser. Elle se focalise contre les autorités semblant plus à l'écoute de Pékin que des interrogations citoyennes. Sur fond de provocations chinoises en mer de l’Est, on entend de plus en plus fréquemment et de plus en plus ouvertement les critiques et les doutes. A tel point que certains observateurs ont pu parler d'un « fossé chinois » qui se creuse au Vietnam au fur et à mesure que le pouvoir d’Ha Noi fait systématiquement barrage à l'expression de ces inquiétudes et de ce mécontentement.
Après les arrestations fin 2008, et l' emprisonnement de journalistes dénonçant la corruption, après les « démissions » de plusieurs rédacteurs en chef de quotidiens nationaux et les retraits de publication de nombreux articles touchant aux « sujets sensibles », les retraits de carte de presse, le Vietnam connaît aujourd'hui un regain d'autoritarisme et de frilosité démocratique ... Ainsi, un des hauts dirigeants du PCV déclare-t-il, à l'occasion de la journée nationale de la presse vietnamienne:« ... la presse fait encore preuve de trop de précipitation et court à la suite de l'opinion. Elle crée des problèmes aux dirigeants quand elle informe sur des sujets sensibles ». Il demande aux rédactions de faire preuve d'une « personnalité politique solide ». Le 18/06/ 2009, le ministre de la communication déplore qu'il est difficile d'« administrer » la presse car le système de contrôle est « trop lent, voire passif ».
Plus claire encore est la pression chinoise. Début juillet 2009, le conseiller économique et commercial chinois à Ha Noi, réagissant une fois de plus à des articles de la presse vietnamienne qui mettaient en doute la qualité des produits chinois, sermonne nominalement deux hauts fonctionnaires vietnamiens chargés des questions économiques pour les propos « non-amicaux » qu'ils auraient tenus à ce sujet. Il déclare qu'« il espère que l'organe (de l'Etat) chargé de l'administration de la presse vietnamienne aura soin de rappeler les journalistes à leur devoir et de leur conseiller d'agir dans le sens des accords conclus entre les deux pays ». Il donne la leçon et propose la solution:« On ne devrait pas laisser se développer une situation où on ne réagit qu'une fois l'article imprimé...Il faut administrer de façon plus serrée ». Et de proposer tout naturellement qu'une équipe d'« administrateurs » chinois viennent au Vietnam « aider » le Ministère de la communication.
De nouvelles arrestations ont lieu, très médiatisées: un avocat célèbre, des opposants militant pacifiquement pour le pluralisme. Ils sont accusés de « propagande contre l'Etat », de contact et de connivence avec des« organisations réactionnaires », voire avec des éléments « terroristes ».
La question « bauxite » a révélé un malaise politique et social .Son traitement à la chinoise pourrait bien aggraver les difficultés du régime en période de récession économique et le rendre encore plus dépendant du soutien de Pékin, en fragilisant le Vietnam.
La guerre de l’eau douce : la Chine tient le robinet du Mékong.
Autre question appelée à devenir un sujet de tension dans la région : la gestion équitable et saine de l'eau du Mékong. Par les barrages qu'elle a construits en amont de ses voisins du Sud, la Chine a déjà montré qu'elle tient le robinet du Mékong. La nouvelle série d’ouvrages qu'elle projette d'édifier en cascade- y compris le plan de détournement d'une partie de l'eau du fleuve vers le Yangzi- la positionneront définitivement en maîtresse de l'eau sur les pays en aval. Il s'agit à la fois d'un outil économique et d'une arme stratégique utilisable selon son bon vouloir, au gré des retenues prolongées ou des largages intempestifs. Bien sûr, Myanmar, Thaïlande Laos, Cambodge et Vietnam (en qualité de maître d'œuvre) ne peuvent être dédouanés des graves déséquilibres qui affecteront certainement l'essence du fleuve et la vie qu'il génère pour des millions de personnes. Ces pays sont aussi acteurs des grands travaux hydroélectriques entrepris en aval de la Chine. Mais c'est Pékin qui tire le plus grand profit de cette course à la domestication énergétique de l'eau, comme utilisateur chez lui et comme maître d'œuvre dans la plupart des pays en aval. Il porte la plus grande responsabilité des probables catastrophes à venir en refusant toujours de reconnaître le caractère multinational du fleuve et la nécessité de sa gestion solidaire, selon l'exemple du Danube. Le Vietnam situé en fin de parcours par son grenier à riz deltaïque sera la principale victime de ces gigantesques travaux.
Mer de l'Est: un requin chinois dans une grande muraille maritime en forme de « langue de boeuf ». (6)
Enfin, nous l'avons plusieurs fois évoqué, une autre question plombe lourdement les relations sino-vietnamiennes en secouant la vie politique intérieure du Vietnam. Il s'agit de l'expansionnisme chinois en mer de l'Est et des réponses que lui apporte le gouvernement d'Ha Noi.
Des intentions...
Les dirigeants chinois adorent les symboles: au cœur de Pékin, à côté de la Cité interdite, les principaux hauts dirigeants ont élu résidence dans un parc appelé « Zhongnanhai » qui signifie Mers du Centre et du Sud. Aucune ambiguïté donc quant aux prétentions affichées: le Milieu de l'Empire est et sera excentré vers les espaces maritimes orientaux.
Bordée par des pays à fortes communautés chinoise, la Mer de Chine, que les chinois appellent Mer du Sud et que les Vietnamiens appellent Mer de l'Est, a toujours été considérée par Pékin comme un « lac chinois ». Aujourd'hui, le monde se rétrécissant avec les moyens de communication modernes, il la considère comme sa piscine. C'est peut-être en ce lieu géographique que se manifeste le plus crûment sa « puissance dure ».
Pour Pékin, plusieurs objectifs: contrôler cet espace stratégique ouvert par le détroit de Malacca car c'est le lieu de passage de la plupart de ses matières premières et autres marchandises; s'approprier de facto les principaux gisements de gaz et de pétrole offshore; maîtriser exclusivement cette riche zone de pêche; installer comme une grande muraille maritime, un dispositif militaire de grande envergure coordonné à partir de Hai nan , premier pas de sa stratégie « Eau bleue » de présence mondiale sur tous les océans.
Car la Chine affiche clairement son intention de passer de la « défense des mers proches » à une stratégie de « marine militaire de haute mer ».Les trois vaisseaux de guerre chinois dépêchés au large des côtes de Somalie en constitue les prémisses.
Mais des intentions à la réalisation de cette stratégie, Pékin devra vaincre encore de nombreux obstacles et gérer, devant sa porte, les confrontations avec les Etats Unis, le Japon, la Russie, l'Australie et les pays de l'ASEAN, en particulier le Vietnam.
Il s'agit d'abord pour elle d'écarter le gros poisson américain, problème vite réglé si celui-ci acceptait de partager. L'Amiral Timothy Keating, commandant la flotte américaine du Pacifique révèle à ce sujet au Taïpei times du 22/02/09 qu'un général chinois lui aurait carrément proposé un partage du Pacifique, la Chine « assurant la paix à l'Ouest d' Hawaï et les USA s'occupant de la partie Est. » Selon l'Amiral, sa réponse fut: un « No. Thanks! » . Mais le tango sino-américain sur fond de récession mondiale laisse planer des incertitudes sur la volonté (et la capacité?) de Washington à maintenir dans le Pacifique la position dominante qu'il occupe depuis la guerre de Corée. Lorsque le 8 mars 2009 à 120km au sud de Hai Nam, cinq bâtiments de la flotte chinoise ont barré la route et abordé le croiseur « Impeccable » de l' US navy, le porte- parole de la délégation américaine accompagnant Mme Clinton à Pékin faisait ce commentaire révélateur:« A l'heure actuelle il y a beaucoup de points de tension mais l'essentiel est que les USA et la Chine doivent coopérer pour résoudre tout une série de questions auxquelles la communauté internationale doit faire face. » D'un autre côté, en légère dissonance, le patron du Pentagone, déjà ministre de la défense de Bush, déclarait devant le Congrès que « les USA sont prêts à faire face à toute menace militaire de la part de la Chine dans la période à venir »...Et certains signes d’un « come back » américain en mer de l'Est semblent perceptibles.
...aux actes.
Dans cet espace maritime, la Chine construit son empire au détriment des quatre pays riverains de l'ASEAN(5) : Brunei, Philippines, Malaisie et Vietnam .Mais c'est essentiellement le Vietnam qui fait les frais de l'opération.
Les dirigeants de Pékin disposent d'une puissance militaire démesurément supérieure. Ils bénéficient aussi des services de leur diaspora établie de longue date dans les pays concernés, avec un poids économique et financier certain et un lobby influent. Enfin, ils ont signé des accords d'échanges commerciaux privilégiés avec l'ASEAN en général et chacun de ses membres en particulier, ce qui leur donne de puissants leviers, renforcés par la récession économique actuelle, pour adoucir les résistances et aussi pour attiser les divisions.
En décembre 2007, afin d'édifier et de consolider sa grande muraille en forme de langue de bœuf autour de l'espace espace maritime convoité, Pékin a créé la ville de Tam Sa, dans la province insulaire de Hai Nan . De là il pourra administrer les trois principaux archipels et leurs bases militaires ainsi que les forces navales installées dans ce vaste espace maritime. Deux des archipels concernés, les Paracels et les Spratleys sont totalement ou partiellement vietnamiens. Pour optimiser son système, courant 2009, Pékin a officialisé au sein de son ministère des affaires étrangères une commission spécialisée sur les questions maritimes et de souveraineté de façon à mieux affûter les armes juridiques et diplomatiques en vue des affrontements à venir.
Pressions dissuasives sur les compagnies pétrolières étrangères
2008 et 2009 ont vu les incidents se multiplier.
En particulier on note le renoncement silencieux de compagnies pétrolières en contrat d'exploration ou d'exploitation avec le Vietnam. En 2008, retrait d’Exxon Mobil d'une zone de prospection conjointe avec le Vietnam. Le porte-parole de Washington déclare:" L’Amérique ne prend parti pour personne dans les contestations juridiques concernant la souveraineté en Mer de l'Est. Cependant nous réagirons à n'importe quelle force qui ferait pression sur les sociétés US opérant dans cette zone ». Bien que la Chine ait reconnu avoir fait pression, il n'y a visiblement pas eu de réaction américaine. En mars 2009, retrait de BP de la zone de Con Son sous la souveraineté du Vietnam avec un plat: « No comment » de la part des dirigeants de la compagnie.
Le grand show de Pékin A l' occasion du 60ème anniversaire de sa marine, fin avril 2009, dans le port de Quingdao, la Chine a invité les représentants de 17 nations à assister à une présentation de ses forces maritimes. La manifestation était en fait orchestrée en prélude au grand show militaire d'intimidation qu'elle préparait pour les mois suivants. Car, peu de temps après, elle a déclenché la plus grande « opération de reconnaissance» coordonnée (Terre -air- mer) jamais entreprise par elle en mer de l'Est. Patrouilleurs de très gros tonnage ainsi que forces héliportées sont mobilisés jusqu'à fin août (agence Chine nouvelle) pour « interdire une pêche abusive » dans les espaces maritimes dont elle s'estime souveraine, et « protéger les ressources, et les hommes travaillant dans la zone ». Ces forces ont même patrouillé dans les eaux vietnamiennes du golfe du Tonkin bien que cette zone ait fait l'objet d'un accord signé entre les deux pays en 2000.
Les cas d'abordage, d'arraisonnement, de confiscation du matériel, des prises de pêche et même de destruction d'embarcations vietnamiennes existaient déjà. Mais ils se sont multipliés. A tel point que les marins pêcheurs que j'ai rencontrés dans la région de Da Nang il y a moins d'un mois, n'osaient plus sortir en mer au plus fort de la saison de pêche. Selon l'Agence vietnamienne d'information, le ministère des affaires étrangères du Vietnam est « entré en relation » avec l'ambassadeur chinois à Ha Noi pour lui « proposer » de lever ces empêchements et celui-ci a promis de faire son rapport à Pékin. En guise de réponse, le 16 juin 2009, trois chaluts vietnamiens ont été arraisonnés au large des Paracels, dans l'espace maritime vietnamien, avec 37 hommes d'équipage. Jusqu'ici, deux chaluts seulement ont été relâchés après paiement d'une amende de 20000 euros par embarcation. A l'heure où j'écris ces lignes, les Chinois gardent encore captifs un chalut et 12 marins dans l'archipel.
Nouvelles ondes de choc au Vietnam
Dans cette situation, avec la peur monte la colère. Côté officiel les autorités d’Ha Noi condamnent d'abord les violations de l'intégrité territoriale du Vietnam en se référant à la convention de 1982 sur les droits de la mer et demandent la libération des chaluts et des hommes. Mais cette réaction de départ est jugée bien timide par l'opinion. Elle s'est durcie depuis quand Ha Noi a exigé que les marins soient « immédiatement relâchés et dédommagés pour les atteintes aux biens et aux personnes. » Les marins quant à eux, se sentant profondément et injustement humiliés, sont bien décidés à continuer de pêcher dans leurs eaux territoriales « comme leurs ancêtres l'ont fait et comme ils l'ont toujours fait jusqu'ici ». Ils exigent de leurs autorités un dispositif, une politique d'assistance efficace pour leur venir en aide en temps opportun. Leur exaspération monte quand ils s'entendent répondre qu'ils ont « un rôle particulier à jouer pour affirmer la souveraineté sur l'espace maritime », que la meilleure façon est de continuer à pêcher mais d'« adopter un comportement très souple et très adroit pour éviter les affrontements inutiles et dommageables aux biens et aux personnes ». Cette situation soulève aussi colère et honte dans l'opinion. Elle provoque des frémissements déjà perceptibles au sein de l'armée, de l'Etat et du PCV lui-même.
Alors on voit naître des initiatives locales, en résistance. Ainsi, à Da Nang, pour répondre à l'arrogance chinoise et à ses coups de force, le comité populaire vient de faire élire le nouveau président de l’archipel Hoang Sa, au grand dam de Pékin. Le service de l'Education de la ville a décidé d'intégrer dans les programmes scolaires du collège, à partir de 2009-2010 l'histoire et la géographie de ces îles. A Saigon, lors d'une réception de photographes chinois, un historien vietnamien chargé d'accueillir les invités a offert une carte géographique ancienne montrant l'évidence de la souveraineté vietnamienne sur les archipels sinisés. Ce qui a conduit au rappel prématuré de la délégation à Pékin.
Mais ces actes restent encore isolés et symboliques. Ils sont systématiquement étouffés par Ha Noi, comme l'ont été les manifestations étudiantes lors du passage de la flamme des J.O de Pékin au Vietnam. Même si l'on peut noter la visite récente et médiatisée d'une délégation du Comité populaire d' Ho Chi Minh ville, conduite par son Président M. Le Hoang Quan, aux marins vietnamiens esseulés dans les Spratleys (Truong Sa), à l'occasion de l'anniversaire de la Libération, en avril dernier.
Début de réaction internationale ?
Les coups de force répétés qui jalonnent l’expansion chinoise dans la zone ne vont pas sans provoquer des ondes bien au-delà du Vietnam. Elles se manifestent en divers horizons et sous diverses formes.
Ainsi, on annonce que l'US Navy, en coopération avec la marine vietnamienne va effectuer des opérations de recherche pour retrouver les traces de marins américains disparus dans cet espace maritime pendant le conflit vietnamien.
Il y a quelques semaines, on notait l'arrivée d'un navire russe à Da nang, juste au moment où la Chine interdisait l'accès du large aux pêcheurs. A noter que la Russie a promis récemment de livrer six nouveaux sous-marins de poche de type « Kilo » à la flotte vietnamienne. Les deux pays avaient d'ailleurs décidé dès octobre 2008 d'accroître la coopération militaire bilatérale, la Russie se déclarant prête à moderniser l'armée vietnamienne, à entraîner ses officiers et former ses experts. Selon l'agence d'information du Vietnam, le 9 juillet 2009 en pleine opération chinoise en mer de l'Est, le Président Nguyen Minh Triet conduisait à Moscou une délégation pour « converser » sur la situation internationale et particulièrement dans la région Asie-Pacifique.
L'Australie a annoncé un accroissement de sa puissance navale en doublant le nombre de ses sous-marins.
L'Inde est impliquée dans un programme d'entraînement des sous-mariniers vietnamiens, certainement soucieuse de voir la Chine lorgner vers l'Océan indien et désireuse de la fixer dans un espace plus éloigné de ses côtes.
Conclusion
Il est fort probable que Pékin s'en tiendra encore à des actions de parade très localisées d'ici la tenue de l'exposition mondiale de Shangai qu'il prépare pour octobre 2010. Ensuite, nul ne peut présumer du développement des tensions qu'il suscite sans, jusqu'ici, rencontrer jusqu'ici de réponses fermes. Cependant, certains éléments devraient l'inciter à la prudence.
Le Japon a déjà montré -et continue de le faire- les limites de la stratégie d'intimidation militaire chinoise en mer du Centre sur les îles contestées de l'archipel Senkaku ou Diaoyu. De nouvelles alliances et mouvements de forces navales sont perceptibles en mer de l'Est...
Vingt-deux mille km de frontières communes avec 14 nations sont déjà difficiles à tenir pour Pékin et sa stratégie prédatrice appuyée sur la violence d'un nationalisme arrogant pourraient bien s'avérer source de faiblesse en allumant de nouveaux foyers et en ravivant d'anciennes braises. Des problèmes ont déjà éclaté à l'intérieur de l'espace du Milieu, au Tibet, au Xinjiang, d'autres ne manqueront pas se manifester dans cet immense pays où 0,4% de la population possède 70% des richesses nationales. Au Vietnam, ce n'est pas le claironnage cynique à chaque rencontre des hauts dirigeants des “16 [mots] en or” (amitié entre voisins, coopération stable, stabilité durable, tournés vers l'avenir) et des “4 bons” (bons voisins, bons amis, bons camarades, bons partenaires) qui changeront la perception très négative de l’image chinoise. Et le peuple vietnamien déjà humilié ne semble plus disposé à reculer au-delà d'un seuil tolérable par sa dignité nationale.
Tous ces éléments, signes avant-coureurs de nuages à venir, devraient inciter Pékin, pour son bien à long terme, à ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre sous peine de faire comme la grenouille de la fable.
Enfin, pour traduire le ressenti largement partagé dans la population vietnamienne, voici quelques passages de l'interview (7) d’un diplomate vietnamien vétéran des relations avec la Chine depuis 1962. « ...Nous pouvons dire que nous n'avons jamais reculé sur les points essentiels, sur les principes...Nous ne reculerons plus...Il n’y a pas d'autre solution que de s'appuyer sur la force populaire, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays...Il faut largement rendre publique, « multilatéraliser », mondialiser, l'information pour bénéficier du soutien de tous nos sympathisants »...
En écho, un blogger très connu pour ses talents journalistiques exprime bien le sentiment populaire quand il écrit au sujet des parties de frontière terrestres perdues au bénéfice de la Chine lors des derniers accords de bornage frontalier (23 février 2009), « ... pour Bản Giốc,et Tục Lãm c'est fini…(NDL: des milliers d'hectares, de très beaux sites abandonnés à la Chine lors du bornage frontalier terrestre). Mais Hoàng Sa et Trường Sa (Paracels et Spratleys) sont encore là...Le gouvernement ne peut pas se priver du peuple pour lutter contre l'expansionnisme chinois. Quand le feu est si près, on ne peut s'éloigner de l'eau. ». (8)
L'année de l'amitié Sino-vietnamienne annoncée pour 2010 risque fort de ne pas répondre aux espérances festives escomptées par Pékin.
Notes :
(1) Coopérant au Vietnam de 1968 à 1973. Depuis 2002, président d'une O.N.G d'échanges pédagogiques avec le Vietnam.
(2) Cet article dont la rédaction s'est achevée le 14 juillet 2009, fait suite à celui que l'auteur écrit le 30 avril 2009 et qui est paru dans le journal l’Humanité du 14 mai 2009. De nombreuses références concernant la partie économique sont tirées d’un projet de recherche « Comprendre la Chine en tant qu’acteur dans la région du Mékong » mené conjointement par la Fondation Heinrich Boll, W. W. F et l’Institut international pour le développement durable.
(3) idéogrammes dérivés des caractères « han » chinois. Le mot « nom » est un dérivé phonétique de « nam » qui, en vietnamien, signifie « Sud »
(4) journal Tuoi Tre du 12 décembre 2008).
(5) l'ASEAN est l’ Association des nations de l'Asie du sud-est qui comprend 10 pays
(6) la Coopération économique Asie-Pacifique qui comprend 21 pays membres
(7) dans le dossier déposé par la Chine le 13 mai 2009 aux Nations Unies et concernant ses prétentions de souveraineté sur la mer de l'Est, elle a fourni une carte détaillant les contours de cette « langue de bœuf ».Elle part du Sud ouest de Hai Nan, coupe une partie du golfe du Tonkin, longe les côtes du Vietnam pour descendre très bas jusqu'à celles de la Malaisie qu'elle serre de près en remontant vers le Nord- Est près du Brunei puis des Philippines.
(8) Radio France Asie, 02/07/2009
(9) eau, « nuoc » en langue vietnamienne, signifie à la fois le liquide et « pays ».
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