De retour de Lorient où j’étais invité pour présenter mon deuxième film, «Les chevaliers des Sables Jaunes», sur les pêcheurs vietnamiens du Centre du Vietnam, je livre à ceux que cela intéresse quelques réflexions.
Tout d’abord j’ai été très impressionné par la dimension de ce festival, sa parfaite organisation, sa richesse en réalisations présentées, leurs qualités professionnelles et, souvent, la force des messages exprimés pour sauver la mer et les communautés qui vivent en harmonie avec elle. Un tour du monde de la mer nourricière, de sa beauté, de ses misères et de ses courages. Résistances oubliées, guerres de la pêche où le petit poisson est chassé par le gros dans une mondialisation souvent dévastatrice. Doigts pointés sur les pilleurs industriels, les pollueurs voyous, sur les trahisons des politiciens corrompus qui les servent. Voile levé sur certaines organisations qui s’engraissent des solidarités ou, plus navrant encore, qui hurlent avec les loups de la cause animale pour éradiquer des communautés humaines privées de leur seule économie et faire place nette aux prédateurs géants de minerais et de pétrole…Et aussi explorations fines de la psychologie des pêcheurs hauturiers, des tourments pudiquement cachés de celles qui attendent en gérant la famille. Seules.
De la Louisiane à l’Inde, en passant par le golfe de Guinée, la Mauritanie, le sud du Sénégal en Casamance, l’Irlande, la Norvège, Terre-Neuve, l’archipel de Nicobar après le Tsunami, l’île canadienne de Fogo, le lac de Chapala au Mexique, les mers bretonne et méditerranéenne, les femmes plongeuses du japon, les Inuits étouffés au nom des bébés phoques …et les pêcheurs plongeurs vietnamiens dans l’archipel des Paracels interdit par la Chine. La Chine, plusieurs fois citée dans ces films, comme un des prédateurs les plus voraces et méprisant des lois.
«Les chevaliers des Sables jaunes» n’était pas en compétition. Réalisé clandestinement par un non professionnel, avec un simple appareil photographique, souvent de nuit sans éclairagiste ni preneur de son dans l’environnement toujours en mouvement d’un petit bateau de pêche en haute mer, il n’a pas les qualités techniques et esthétiques de la plupart des autres films présentés au festival. Aucune simulation, aucun jeu d’acteur, aucune mise en scène, aucune aide financière. Le commentaire fait en deux jours, sa diction en trois heures. La réalité brute, le film «fait maison». Il a cependant été choisi par les collégiens pour recevoir leur prix.
Alors que des centaines de milliers de collégiens vietnamiens de leur âge n’ont pas l’occasion de le voir, que la majorité d’entre eux ne connait même pas ses îles ni leur histoire, ces jeunes Français, à l’autre bout du monde, lui ont décerné le prix du cœur. Sans pollution politique, religieuse ou idéologique. Ce vote plein de fraîcheur ne ment pas : il exprime l’admiration envers les jeunes pêcheurs-plongeurs qui risquent leur vie et la consument un peu plus à chacune de leur sortie dans ces îles de tous les dangers. Il exprime aussi son soutien à une communauté de dizaines de milliers de familles concentrées dans étroite frange côtière qui ne peut vivre que par sa mer. Une mer et ses îles volées et interdites par la force du canon.
M. Trinh Nhu Vu hameau de Phuoc Thien, village de Binh Hai District de Binh Son province de Quang Ngai. Les balles de la marine de guerre chinoise ont pénétré à l'aisselle. Une d'elle est ressortie en déchirant la paupière, touchant l'oeil droit. Une autre a traversé la jambe. Deux mois d'hospitalisation à Hai Nan. Deux mois supplémentaires à Da Nang. Incapacité de marcher plus de 100m. Seulement 30% de la vision droite. Aucune aide de l'Etat vietnamien.
Du même hameau. La balle chinoise à brisé les os du bras. handicapé à vie. Ne sort plus en mer. A eu peur de se laisser interviewer car menacé de représailles ( par agents chinois ?)
Impacts de balles. Il sort toujours à Hoang Sa...
Impacts des balles chinoises. Il sort toujours à Hoang Sa.
Même si rien n’est parfait ni définitivement acquis, loin s’en faut, ils ont de la chance ces jeunes Français d’arriver après des générations de femmes et d’hommes qui se sont battus pour le droit de voir les différents aspects de la réalité du Monde, le droit de connaître l’ Histoire dans ses contradictions, de chercher, de choisir sans être influencés, menacés… de voter. Un monde si différent de celui des collégiens du Vietnam !
Au moment où ces lignes sont écrites, l’équipage du film rentre au port de Sa Kỳ les mains vides après vingt jours de mer dans les Paracels : pêche écourtée : les Chinois leur ont volé matériel et prises de pêche. Des dettes qui s’accumulent mais la vie est sauve. Une pensée meurtrie pour eux.
Les faucons expansionnistes de Pékin ne sont pas les seuls à blâmer dans cette tragédie. Ce festival fait aussi resurgir une pensée indignée contre les censeurs omnipotents du cinéma vietnamien qui viennent d’autoriser depuis début mars la projection au Vietnam du film chinois «Operation red sea » à l’occasion du 90ème anniversaire de la fondation de l’Armée populaire de libération chinoise, devenue armée populaire d’oppression, film où il est question d’«espace maritime souverain de la Chine en mer du Sud-Est asiatique » prétention souveraine ainsi légitimée au Vietnam, par des Vietnamiens d’un organe officiel du pouvoir, alors que le tribunal international de l’ONU sur le droit à la mer de La Hague l’a clairement rejetée . Tandis qu’on abandonne les pêcheurs et leurs veuves, qu‘on interdit les rares films qui leur donnent la parole, la projection de ce film de propagande chinois est une véritable insulte envers cette communauté victime. C’est aussi une insulte de plus à la mémoire des 64 soldats vietnamiens de l’île Gạc Ma qui avaient l’ordre de tenir la position avec interdiction de tirer un seul coup de feu et qui, dans l’eau jusqu‘à la taille, furent froidement mitraillés par la marine chinoise. C’était le 14 mars 1988.
A ce niveau des hautes instances très politiques du film vietnamien, l’ignorance ne peut être une excuse. La collaboration, la complicité sont flagrantes. Elles montrent à quel point les dizaines de milliers de pêcheurs de ce centre Vietnam sont abandonnés aux prédateurs chinois. La trahison n’est même pas idéologique car les deux partis qui se disent communistes dirigent sans partage un régime où capitalisme sauvage, corruption et réseaux familiaux étouffent le pays. Qu’ils sont malheureux ceux dont la jeunesse a défendu la cause d’un Vietnam indépendant et libre ! Quelle confiscation de tous ces combats, de tous ces sacrifices pour en arriver moins d’un demi-siècle plus tard à une nouvelle servitude, une nouvelle oppression qui se précise de jour en jour !
Mais quelle leçon de courage, de fierté et d’humanité nous donnent les jeunes pêcheurs plongeurs vietnamiens du film, travaillant par plusieurs dizaines de mètres de fond à quelques kilomètres à peine des îles militarisées par Pékin où ils ont été agressés à peine quelques mois auparavant. Musique traditionnelle diffusée sur le pont toute la nuit. Sourires. Même pas peur, semblent-ils dire à ceux de leurs compatriotes qui ne pensent qu’à leur petite famille, leur petite maison, leur petite voiture et ne se rendent pas compte ou ne veulent pas voir qu’en perdant la mer et ses pêcheurs, ils sont en train de perdre leur pays !
Le vrai Vietnam est là, en résistance ! Merci au festival de l’avoir reconnu et de lui avoir donné la parole ! Merci aux collégiens du collège de Kerdurand de Riantec de l’avoir écoutée et entendue !
André Menras - Hồ Cương Quyết
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