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Peur des fleurs et des vieilles dames...

Photo du rédacteur: André MenrasAndré Menras

En attendant le bateau pour Hoàng Sa comme on attend cette Arlésienne qui ne vient jamais je ne voulais pas me suicider par désespoir comme le héros de la nouvelle d'Alphonse Daudet qui inspira à Bizet sa célèbre musique de scène. Alors je me suis mis à la lecture.

Đa Nang. Depuis le 21 mai 2014 j'attends en vain le bateau de la police maritime qui doit m'amener filmer la plateforme de forage chinoise HY 981, profondément intrusive dans l'espace maritime souverain du Vietnam. Cela devait être le point de départ de mon prochain film sur les pêcheurs qui continuent de vivre de leur métier à Hoàng Sa. En attendant, j'ai eu le temps de lire et de relire la presse. Toute la presse. Ainsi le journal Lao Động, parmi tant d'autres. Mes yeux ont été attirés par une photo qui n'est pas photoshopée: une vieille dame saisie par derrière à bras le corps par une énergumène casquée et masquée, ceinturée par une autre qui la tire en avant. Le groupe est entouré d'hommes qui s'agitent tout autour comme pour empêcher toute intervention d'aide extérieure. Non, visiblement on n'est pas venu secourir cette vieille dame de 97 ans pour des problèmes de santé. Au contraire, à son visage on devine qu’elle résiste. On est venu l'arracher à son humble habitation offerte par la population locale en reconnaissance des sacrifices en vies humaines qu’elle et sa famille ont consentis pour la patrie pendant la guerre d'indépendance. De "Mère héroïne" voilà qu’elle devient mère indésirable, chassée d'une terre où elle avait espéré trouver repos, déracinée à nouveau à la fin d'une vie de tourmentes. Mère rudoyée, meurtrie et indignée, victime d'une nouvelle guerre d'agression: celle des projets immobiliers juteux pour quelques-uns qui balayent les pauvres gens comme des grains de poussière. Béton et cœurs de pierre contre le souffle fragile et finissant d'une vie de galère.

Je ne sais pas si, selon les interprétations de la loi vietnamienne Mme Lành a le droit avec elle. Je ne connais pas le détail de cette affaire. Je ne suis pas là pour le connaître. Par contre je sais que les cas sont innombrables dans le Vietnam d'aujourd'hui de pauvres gens chassés, dépossédés de leurs maigres biens, brutalisés, emprisonnés quand ils résistent à la cupidité des cadres du Parti qui servent les promoteurs. On appelle cela le développement. Ce que je sais, c'est que le droit devrait les protéger, les rassurer, leur donner des options de vie sécurisante pour la fin de leurs jours. Mais la force policière brutale, imbécile, lâche, indigne, remplace et piétine ce droit. C’est la triste réalité que j'ai constatée ce matin du 6 juillet au centre hospitalier du Phương An Hải Tây, quận Sơn Trà, Đà Nẵng.

Lorsque je suis arrivé au service des urgences avec mon bouquet de fleurs, et que j'ai demandé à rencontrer Mme Phạm Thị Lành dont je savais qu’elle n'était pas malade, le médecin de service a ouvert des yeux ronds puis son visage s'est fermé et il a parlé de " Lãnh đạo " (les dirigeants) aux personnes qui l'entouraient. Quand je lui ai dit que la seule personne qui m'intéressait été Mme Lành et non les " lãnh đạo " il s'est encore enfoncé dans sa coquille comme une huître menacée et m'a prié d'attendre à l'extérieur. A peine 5 minutes après 4 individus en civil sont arrivés, deux sont entrés dans le service des urgences pour parler au médecin, deux autres sont montés à l'étage. J'avais laissé au médecin, en guise de présentation, l'article paru le jour même sur le journal Thanh Niên qui parlait de ma participation à la conférence internationale de Đà Nẵng, de mon film, et qui rappelait mon histoire avec le Vietnam. Juste pour montrer que je n'étais pas "un élément terroriste des forces réactionnaires de l'Etranger ". Les deux jeunes hommes sont repartis de l'autre côté du service, à l'opposé de moi, et ont lu cette page attentivement. Puis ce fut l' habituel va - et - vient des téléphones portables du chef invisible et non identifiable au fonctionnaire de base en quête de lumière...Au bout de dix minutes d'attente et de patience, je me suis levé et suis allé voir les deux jeunes gens:- "Vous êtes des CA (policiers) n'est-ce pas?. Voilà: expliquez à vos chefs que je suis ici pour apporter ces fleurs à Mme Lành pour lui monter mon respect et lui donner un peu de réconfort suite aux agressions indignes qu’elle a subies de la part de vos services. Je ne juge en rien de l'affaire mais je pense que vous devriez montrer un minimum de respect envers ce qui ont creusé le puits de l'eau que vous buvez. C'est avant tout une question de reconnaissance, d'humanité et de dignité humaine." L'embarras du jeune homme qui m'a répondu poliment était grand et il s'est lancé dans une explication ping- pong que je ne voulais pas entendre: «Ce secteur est un secteur d'urgences: sa gestion dépend de l'autorité du médecin chef. Le médecin chef avait renvoyé la balle: l'autorisation ne peut être donnée que par les " lãnh đạo ". Chacun se dégage de la décision: courage habituel des lâches comme des poissons dans l'eau dans un système de responsabilité collective où personne n'est individuellement responsable. Finalement mon jeune interlocuteur m'a fait apporter par un troisième deux exemplaires du CAND (journal de la police) dans lesquels, selon lui, on expliquait que le journal Lao Động mentait. Evidemment, présentés ainsi, je ne les lirai pas!

Bref: Mme Lành avait tort. Elle était manipulée par son fils M.Minh. Si je prenais une photo d'elle en train de recevoir des fleurs, cette photo serait exploitée de façon malveillante... Conclusion: impossible de la voir. Je n'avais qu’à repartir. Circulez ! Y a rien à voir !

Je ne veux pas entrer dans les arguties policières ou légales. Elles sont devenues dérisoires devant l'attitude concrète des autorités. Pour moi, je l'ai bien mesuré, Mme Lành, 97 ans, mère héroïne, est prisonnière par la complicité des médecins et de la police d'un système à la chinoise qui bâillonne les gens, surtout les plus faibles. Un système qui a peur des fleurs et des vieillards. Un système condamné à changer ou à mourir. Mme Lành, je ne vous connais pas mais je vous aime!

 
 

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