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Photo du rédacteurAndré Menras

S'il vous plaît, camarades...

Hồ Chí Minh ville, ce samedi après-midi. J’ai dû quitter l’hôtel où je ne me sentais plus en sécurité, internet coupé, l’armoire poussée derrière la porte qui ne ferme pas. Dans la chambre de l’appartement vide courageusement prêté par ma petite sœur fille de papa Khuê, j’écoute Trịnh Công Sơn. Pas envie de lire ni d’écrire. Mélange de visages, de paysages en fondus enchaînés qui défilent comme dans un film sauvage. Mélancolie d’une musique qui appelle la pluie de ce passé qui me colle à la peau et que le présent ravive chaque jour plus fort.

Ce matin j’étais invité fortuitement à un « café-philo ». Sujet d’exposé et de réflexion audacieux : Marx, Engels, Hegel. Aucun d’entre eux ne viendra à mon secours, je le sais. Petite salle bondée à craquer. Des visages familiers, l’écrivain Nguyên Ngọc et d’autres encore inconnus. Ambiance d’étude et de partage. Vieux militants et jeunes étudiants mêlés : fraîcheur de l’esprit tous âges confondus. Soif d’apprendre, d’échanger, de questionner.

Et toujours la pluie mélancolique de la musique de Trịnh qui baigne ce bouillonnement d’idées dans la respiration de ce café-philo, volée à l’adversité d’une mise au pas conforme et brutale. Ambiance d’un passé que je croyais pour toujours enterré. Tristes moments du Saigon que j’ai connu qui ressurgissent aujourd’hui d’Ho Chi Minh ville comme autant de gifles à mes certitudes.

Film interdit, café fermé, électricité coupée, personnel menacé. « Têtes de buffles et faces de cheval » aux visages fermés, téléphones portables à l’oreille, caméra et enregistreurs au point. Sensation pesante de n’être jamais seul. J’ai déjà affronté ces yeux fuyants il y a 40 ans quand je les interpelais et qu’ils n’avaient rien à répondre que la menace silencieuse. Je sais de quoi ces mains sont capables quand arrivent l’ordre anonyme.

Où êtes-vous mes braves camarades ? Comment pouvez-vous oublier d’où nous venons où nous allons ? J’écoute « Một ngày dài trên quê hương », un long jour dans mon pays, et, c’est ridicule, les larmes montent sans contrôle. Douleur de nos combats confisqués, de nos espoirs volés. Colère à pleurer d’une jeunesse enfouie qui se débat, qui renaît en résistance et me fait oublier la fatigue de l’âge.

S’il vous plaît camarades, dites-moi que ce n’est pas vrai, que nos ennemis n’avaient pas raison, que je ne dois pas à nouveau monter au front…contre vous cette fois.



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